chapitre 8 - page 67
"Frère Irénée est nommé sous-directeur du noviciat de St-Yon. Frère Barthélémy
en reste le directeur encore quelque temps. Frère Irénée n'a que
26 ans et trois ans d'ancienneté dans l'Institut. Il est issu de la
noblesse d'épée. C'est un ancien officier de l'armée du Roi qui a
connu les champs de bataille et qui y a été blessé. Il a rencontré
Jean-Baptiste à Grenoble (ou à Parménie) en 1714. Son destin
était-il de devenir maître d'école ? Il a peu d'aisance pour
imposer son autorité à des écoliers. Par contre il a toutes les
qualités personnelles pour accompagner de jeunes adultes novices,
les conseiller et les former. Jean-Baptiste a envoyé Frère Irénée
à Laon pour compléter sa formation après de brefs séjours dans
les écoles de Grenoble, d'Avignon (avec Frère Timothée) et de
Paris. à St-Yon, il sera un maître des novices exceptionnel par son
exemplarité, sa disponibilité et la pertinence de ses conseils. Il
occupera cette fonction pendant trente années jusqu'à son décès
en 1747. En 1717 les novices sont une poignée. Ils seront 33 en 1735
et 45 en 1745. Il est sans doute impossible de savoir exactement
combien de novices ont été formés par Frère Irénée mais, à
l'évidence, ce dernier a été un des piliers de l'Institut pendant
la première moitié du XVIIIème siècle.
Frère Barthélemy et Frère Irénée n'ont ni le même âge (respectivement 39 et 26 ans), ni la même origine sociale (Frère Barthélemy est le fils d'un maître d'école et Frère Irénée a été élevé au château familial des Dulac de Montisambert). Ils n'ont pas la même formation : Frère Barthélemy a fait des études classiques chez les Jésuites à Douai ; Frère Irénée est devenu officier à 14 ans. Néanmoins ils ont d'importants points communs.
Frère Barthélemy et Frère Irénée n'ont ni le même âge (respectivement 39 et 26 ans), ni la même origine sociale (Frère Barthélemy est le fils d'un maître d'école et Frère Irénée a été élevé au château familial des Dulac de Montisambert). Ils n'ont pas la même formation : Frère Barthélemy a fait des études classiques chez les Jésuites à Douai ; Frère Irénée est devenu officier à 14 ans. Néanmoins ils ont d'importants points communs.
- avant de devenir Frères, l'un et l'autre ont été en quête d'une vie religieuse consacrée. Frère Irénée a songé à rentrer chez les Capucins. il a postulé pour entrer chez les Chartreux puis chez les Cisterciens1. Frère Barthélemy a d'abord songé à devenir prêtre et il a fait des études de théologie puis il a postulé pour entrer chez les Trappistes2.
- l'un et l'autre ont été dans la nécessité de faire un choix douloureux entre leur famille (notamment leur maman) et leur vocation de Frère. En 1710, Frère Barthélemy a perdu son papa alors qu'il était maître des novices à Paris et très malade. Sa maman lui a écrit une lettre déchirante pour qu'il vienne prendre la succession de son papa maître d'école et ainsi veiller sur elle3. Préoccupé par sa santé, Frère Barthélemy a été en proie au doute et il a demandé conseil à Jean-Baptiste. Une fois sa décision prise, il a envoyé à sa maman une réponse très émouvante4. Trois ans plus tard en 1713, le jeune Claude François Dulac de Montisambert (qui allait devenir Frère Irénée) a quitté l'armée sans avertir sa famille du lieu où il se trouvait car son papa avait autorité pour lui faire interdire l'entrée dans la vie religieuse. Il redoutait aussi de ne pas avoir le courage de résister aux suppliques de sa maman. Jean-Baptiste, informé en 1714 du désir de Claude François Dulac de devenir Frère, a mis un certain temps avant de lui répondre positivement pour s'assurer de sa détermination. Une fois admis chez les Frères, la discrétion sur son passé lui a été assurée. à St-Yon, bien peu de Frères connaissent ce secret. Mais Frère Irénée culpabilise d'avoir «déçu» sa famille. En 1728 sa maman apprendra que son fils est à St-Yon. Un ami de la famille, Conseiller au Parlement de Rouen, viendra lui demander de reprendre contact avec elle. Un échange de courrier aura lieu5. Nous n'avons pas le texte de la lettre envoyée par Frère Irénée à sa maman mais nous disposons de la très émouvante réponse de cette dernière6
- Frère Barthélemy et Frère Irénée ont en commun d'avoir connu le doute quant au choix à faire entre l'amour filial et la fidélité à leur vocation. L'un et l'autre ont tenté de convaincre leur maman que leur décision leur était à la fois douloureuse et nécessaire.
3
LOES A. - op cit - p 178 :
Lettre
envoyée par la maman de Frère Barthélemy le 17 mars 1710 : «Une
lettre de votre Frère vous a appris la mort de votre père
et votre bon cœur s’est empressé
de nous adresser des paroles de consolation ; je les relis
fréquemment
et je vous en remercie. Aujourd’hui, je viens vous demander
davantage. Messieurs les échevins
me sont venus trouver pour vous offrir en leur nom de continuer les
fonctions d’instituteur de Sains à
la place de défunt
votre père
; vos anciens camarades d’enfance seraient heureux de vous confier
leur fils. Vous continuerez ainsi le bien commencé
par votre père,
votre présence
ici empêchera votre mère
de mourir de douleur et votre subsistance sera assurée
pour toute votre vie.
Adieu,
cher enfant, je compte sur vous. Songez que je serais désolée
d’avoir à suivre votre Frère, que son commerce oblige à se
fixer hors de Sains. Je vous embrasse bien tendrement.
Votre
mère, Joséphine Truffet.»
4
LOES A. op cit – p179 - début de la lettre envoyée par Frère
Barthélemy à sa maman
« Ma
chère mère, vous m’excuserez d’avoir tant tardé à vous
répondre. Si je n’avais écouté que la voix de la nature, je me
fusse rendu immédiatement à votre invitation. Mais la voix de Dieu
me parlait aussi, et me dictait la conduite que je dois tenir pour
correspondre à ses vues sur moi et vous laisser le mérite de votre
sacrifice. Ma vocation vient de Dieu, vous avez pu vous en
convaincre vous-même. En me permettant de la suivre, mon père
renonça à l’espérance de m’avoir pour successeur; il fit
taire sa douleur pour me laisser suivre la voix qui m’appelait
dans l’Institut des Frères des écoles
chrétiennes. Vous ne voudriez pas, chère mère, que, revenant sur
le sacrifice que j’ai fait, je renonce à cette vocation sainte et
me rende indigne des faveurs que le bon Dieu m’accorde… »
5
Le lecteur qui souhaite plus
d'informations sur cet aspect de la vie de Frère Irénée peut
consulter le
diaporama « Frère Irénée,
une vie dans les pas de Jean-Baptiste de La Salle » -2014 par
l'auteur de ce livre
Lettre
de Mme
de Montisambert à son fils : «Quitter
sa famille pour se donner à Dieu est une chose très louable mais
cela n’oblige pas de ne point faire tout ce qu’il faut pour
mettre cette famille au repos. Je vous ai fait chercher par toute la
chrétienté. Madame la duchesse de Sully engagea le nonce du pape
de solliciter sa Sainteté à vous faire chercher dans l’ordre des
capucins parce que vous aviez marqué à votre père que vous
vouliez vous y retirer. Cette recherche a été faite avec la
dernière exactitude mais inutilement, vous aviez pris un autre
parti. Enfin mon enfant je vous retrouve. J’en bénirai Dieu toute
ma vie. Adieu mon cher enfant, que le Seigneur veuille vous
fortifier de plus en plus dans la voie du salut. J’attends de vos
nouvelles au plus
tôt
et vous conjure par la tendresse que j’ai toujours eue pour vous,
par toutes les larmes que vous m’avez fait verser et que je verse
en vous écrivant, de m’en donner. Si cependant vous ne voulez
absolument pas nous en donner ni en recevoir des nôtres, je vous
laisserai en repos quoique ce fut pour moi une grande consolation»